samedi 27 mars 2010

Halte à l'euthanasie bureaucratique des SSR - La production administrative du handicap

Menaces sur l'accès aux soins de réadaptation, la prévention et l'accompagnement précoces du handicap, quel que soit l'âge.

"Toute activité orientée selon l'éthique peut être subordonnée à deux maximes totalement différentes et irréductiblement opposées : l'éthique de responsabilité ou l'éthique de conviction." Max Weber

L'hôpital français sombre chaque jour un peu plus dans une barbarie tranquille. Les soins de ville, l'accompagnement et les soins dans le secteur de l'action sociale suivent ce même mouvement. L'incoordination et les effets de la fragmentation s'accroissent quand tous les rapports les dénoncent, sous les effets paradoxalement conjugués des défaillances du pseudo-marché introduit artificiellement par le financement à l'activité et de l'omniprésence de la bureaucratie étatique et tentaculaire qui s'étend sur le système de soins.

De façon incompréhensible les acteurs et les usagers tolèrent des réductions d'effectifs et des perturbations de l'organisation clinique qui produisent au quotidien et pour une population de plus en plus touchée par les maladies chroniques, de plus en plus âgée et handicapée, iatrogénie, précarisation fonctionnelle, sur complications, sorties sauvages non préparées, institutionnalisation inappropriée, et un désenchantement croissant doublé d'une souffrance incrédule pour les professionnels. Les soignants dont sommés de passer sans broncher de l'agir au faire, et de l'œuvre qui a du sens dans la durée, au travail séquentiel qui n'en a plus (Hannah Arendt: "La condition de l'homme moderne").

" Que s'est-il passé? Comment cela s'est-il passé? Comment cela a-t-il été possible?"
Telles sont les questions sur la généalogie du mal et la banalité de son acceptation qu'Hannah Arendt ne cesse de poser. Le plus curieux est que, nous dit Hannah Arendt, la plupart de acteurs sont au courant de ce qui se passe et ne sont pas réellement victimes d'un lavage de cerveau. Les erreurs persistantes et les décisions absurdes ne sont pas réservées aux systèmes totalitaires. Une fois la décision prise d'en haut, divers mécanismes individuels et collectifs vont la faire inexorablement descendre dans l'organisation du système de santé. L'intolérance à l'ambiguïté, l'évitement des "dissonances cognitives" et les routines défensives sont alors des mécanismes bien connus qui conduisent à rationnaliser les dysfonctionnements les plus invraisemblables et à l'acceptation croissante et résignée de la normalisation de la déviance dans les organisations.

Le secteur des soins de suite et de réadaptation (SSR) a un handicap supplémentaire considérable par rapport au court séjour. Non seulement il doit absorber de plein fouet la logique de rationement des dépenses à peine masquée par une pseudo-rationalisation gestionnaire et des indicateurs myopes, non seulement il doit subir les règles d'une bureaucratisation hiérarchique qui supprime l'indispensable autonomie et la régulation professionnelle des médecins, et au delà de tous les professionnels, règles qui cloisonnent d'ailleurs les "métiers" en boite à oeufs qui ne doivent surtout pas se toucher là où il faudrait assembler les compétences, non seulement ce secteur est plus que jamais victime de l'invisibilité à court terme des résultats de santé quand il s'agit de prévenir le handicap à moyen et long terme, donc hors de la vue d'une logique comptable trop fragmentée, mais, pour couronner le tout, il est victime d'une ingénierie qui n'est même pas freinée par le garde-fou encore puissant que les disciplines aiguës tentent de maintenir au regard de la réorganisation des soins de courte durée.

Le pouvoir de "réingénierie" en SSR est donc dominé par quelques auto-experts au savoir faire limité et expéditif , souvent les mêmes qui officient dans les agences régionales, certains "gros" établissements de santé et dans les agences ministérielles, "marginaux sécants" de l'information médicale, des statistiques et de la santé publique, appuyés sur les "boules de cristal" tant vénérées des directions, de "l'information médicale", c'est à dire aujourd'hui un ensemble de billevesées tirées d'une analyse du PMSI sorti de son rôle d'outil médico-économique.
Trop jaloux de la zone d'incertitude et de contrôle que ce pouvoir d'oracle leur confère vis à vis des managers, ce ne sont surtout pas eux qui vont solliciter l'avis des cliniciens, surtout en SSR et en particulier en Ile-de-France ou leur avis est si peu considéré, en dehors de rapides consultations lors de réunions d'enregistrement brouillonnes de projets déjà quasiment verrouillés sans ces parties prenantes essentielles, et dont les compétences sont pourtant très fortement "structurantes".

Aussi ces nouveaux cadres intermédiaires de la technostructure n'hésitent-ils pas à parer de tous les attraits cette simple heuristique de disponibilité à l'origine de décisions absurdes, décisions justifiées par des traitements statistiques, obscurcis de novlangue gestionnaire pour en cacher l'inconsistance et que l'on ne daigne plus expliquer aux nouveaux tacherons de la médecine jugés incapables d'en comprendre les subtilités.
Ce traitement de données approximatives, gardées inaccessibles de peur que des parties prenantes légitimes qui y auraient accès n'en contestent les interprétations, permet à ces improbables commis de la nouvelle gestion publique de tenter de nous faire croire que l'on a pu à partir de leur analyse:
- évaluer les besoins de soins d'aval en fonction des diverses modalités d'hospitalisation ou de soins ambulatoire et ce avant même les nouvelles autorisations,
- quantifier de façon idéale des orientations de "groupes de patients" définis pourtant par pathologies aiguës, et sans considération pour la complexité besoins de soins curatifs et/ou réadaptation; vers de nouveaux types de SSR définis par les décrets de 2008, dont on a à peine défini les missions (sans même avoir défini les groupes homogènes de patients en fonction des soins requis et en tenant compte de leur coût) ,
- les financements congruents aux besoins, alors qu'aucun garde-fou ne vient limiter les réductions d'effectif et de moyens dans les nouvelles activités définies par ces mêmes décrets,
- plaquant enfin là dessus, et c'est le comble, des règles verticales et n'en doutons pas bientôt autoritaires et contrôlées par "l'agence" de circulation dans des "trajectoires". Ces filières, conçues dans leur version française de réseaux définis "d'en haut", ne tiennent compte ni des contraintes économiques des établissements ni donc des comportements opportunistes induits par une tarification inadéquate faute d'avoir été capable de construire une modélisation de la rémunération du service rendu.
Ainsi a-t-on vu dans le 93, à l'annonce lors du déploiement du programme AVC, de tarifs avantageux comparés à ceux de la province pour la rééducation neurologique, et dans un contexte immobilier plus attractif que dans d'autres département, se multiplier de façon invraisemblable les autorisations par l'ARHIF de petites structures SSR privées, qui pour la plupart sélectionnent les patients les moins "lourds" en particulier au regard des difficultés de réintégration sociale, laissant toute la complexité médico-sociale à la charge du secteur public hospitalier, sans qu'aucun incitatif ne puisse venir contrarier cette tendance.
Tous ces comportement artificiellement induits et contraires aux valeurs partagées du soin vont hélas contre l'impérieuse nécessité de coordination médico-sociale précoce et de la constitution réseaux locaux ville hôpital médico-social "voulus d'en bas", à pilotage décentralisé, et dédiés au maintien au domicile (ou dans le meilleur lieu de vie possible).

Paradoxalement, c'est le système de financement qui transforme le comportement des acteurs en "calculateurs économiques" par un mécanisme bien connu de prophétie autoréalisatrice. Faute de modèle coût-qualité, les SSR se transforment en "marché des voitures d'occasion" ou chacun pourra prétendre face à l'agence réaliser des soins qu'il ne réalise pas au regard des données probantes de l'état de l'art. Ceux qui prétendent le contraire et que le systèmes actuels de "certification" sont efficaces pour trier les bonnes prises en charge et les prises en charge "casseroles" sont invités à mettre les pieds dans les unités de soins et à regarder avec nous dans le moteur des SSR sans avoir peur du cambouis.
Il est urgent de réclamer un accès beaucoup plus large et "démocratisé" aux données de santé et en particulier les bases SSR anonymisées régionales.

Que se passe-t-il réellement en Ile-de-France pour les personnes à risque de perte d'autonomie, qu'elles soient âgées ou plus jeunes mais à risque de handicap? Les patients de gravité moyenne en terme de limitations fonctionnelles n'accèdent plus aux soins requis par leur état, faute de garde-fous sur les moyens nécessaires au regard de l'état de l'art (pensons aux très nombreux AVC, sclérose en plaques..). Quand il faudrait 3 heures de rééducation et qu'on peut à peine en fournir une, quand il n'y a plus assez d'aides-soignants pour un minimum d'accompagnement aux patients en perte d'autonomie, les progrès sont lents, le risque de précarisation fonctionnelle s'accroit et les séjours s'allongent. Il en est de même lorsque les assistants de service sociaux sont sacrifiés comme d'autres prestations de support non immédiatement urgentes aux exigences à courte vue des systèmes de financement à l'activité. Les patients nécessitant des soins continus et complexes accèdent souvent beaucoup trop tard, au prix de handicaps surajoutés qu'on aurait pu éviter, aux rares plateaux techniques encore à même de pratiquer une réadaptation intensive et pluridisciplinaire (blessés médullaires , traumatisés crâniens graves et autres cérébrolésés complexes).Enfin les patients les plus vulnérables et à la plus forte complexité médico-sociale, celle qui n'est pas "rentable" dans les tarifs actuels, se voient refusés à toutes les étapes d'un système d'aval dont les acteurs ont été artificiellement transformés en calculateurs égoïstes et luttant pour leur survie économique. Les nouvelles règles de ce jeu morbide sont hostiles aux plus faibles, aux plus "graves", aux plus dépendants, aux moins habiles pour se pouvoir dans une jungle de plus en plus hostile aux personnes atteintes de maladies ou états chroniques handicapants. Mais cette manipulation des incitations par la concurrence n'assure pas non plus les malades "rentables" de la possibilité de soins de qualité, faute d'indicateurs qui garantiraient les moyens de la structure qui les accueille et le temps nécessaire à leurs soins. Voici ce qu'on voit, que le PMSI ne voit pas, et que la tarification induit.

Résistons à cette entreprise de "désinformation" médicale grossière. Ne cherchons pas plus loin l'origine de l'actuelle production administrative du handicap, du désarroi voire du désespoir croissant des équipes de soins, et de la maltraitance involontaire qui est infligée aux patients, surtout les plus vulnérables d'entre eux, qui est si insupportable aux soignants eux-mêmes. Sans réaction rapide des professionnels des usagers et des élus, cette baisse tendancielle de la qualité des soins s'abattra sur tous les usagers du système de santé même ceux qui sont aujourd'hui considérés comme "rentables", faute de réelle évaluation de la qualité des soins par les faux indicateurs gestionnaires.
Pour les personnes confrontées à une maladie chronique et/ou une perte d'autonomie et requérant un dispositif intégré de prévention, de soins curatifs, de réadaptation et d'accompagnement social, quelle que soit l'origine de leur problème de santé et à n'importe quel âge, elles seront victimes si l'on n'y prend garde à une insuffisance croissante et hélas programmée de moyens que ni les médecins ni les autres soignants n'ont plus le pouvoir de dénoncer.

Cessons enfin de laisser croire à la population que les soins peuvent être organisés par quelques ingénieurs formés à l'organisation scientifique du travail, appuyés par des statisticiens de la santé et les chaînes de commandement quasi militaires déployées par la loi HPST. En mettant ainsi en place son "tout incitatif" et ses pseudo-marchés organisant une concurrence acharnée entre des acteurs transformés en calculateurs économiques elle rend impossible toute co-construction partagée, sur les valeurs du soin et de la solidarité, entre professionnels, usagers, managers et élus, de ce que le marché ne peut régler seul et qui relève de services non marchands d'intérêt général. Nous autres médecins cliniciens connaissons nos patients, leurs besoins, dans l'environnement des territoires où nous exerçons, comment nos équipes fonctionnent, par transactions informelles, coopération et collégialité beaucoup plus que par procédures explicites et hiérarchie prescriptive. Encore faut-il que les gestionnaires laissent les organisations professionnelles de cliniciens accéder à l'information, et leur laisse ainsi la possibilité de confronter leurs analyses et interprétations aux oukazes tirés de ces entrepôts de données si peu partagés (bases SSR régionales anonymisées par exemple). Les canadiens parlent d'initiative de démocratisation des données, c'est essentiel. Nous savons aussi comment optimiser les programmes de soins, avec les autres soignants, les managers et les usagers, la qualité et l'économie n'étant antinomiques que lorsque les méthodes de management et de financement sont mauvaises.

"Il y a trois sortes de mensonges, le mensonge, le fieffé mensonge et les statistiques." Mark Twain cité par Disraeli

Bref kit de défense webographique


Perte de sens, désarroi, baisse tendancielle de la qualité des soins et souffrance au travail au quotidien: le 20 mars dernier, France Culture a consacré le magazine de sa rédaction au "malaise à l'hôpital" :
LE MAGAZINE DE LA REDACTION 20.03.20.mp3

Interviews de chefs de pôles, cadres de pôles, IDE, aides-soignants de l'hôpital Avicenne Réactions de jean de Kervasdoué et Laurent Heyer
Pour télécharger le podcast
http://itunes.apple.com/fr/podcast/le-magazine-de-la-redaction/id300710447?i=81692279

Accès aux soins de réadaptation et handicap Jean-Pascal Devailly – Laurence Josse CHU Avicenne Bobigny - (manuscrit accepté des auteurs) En pdf liens de webographie directement cliquables
https://sites.google.com/site/systemedesoinsethandicap/planifier-organiser-et-financer-la-readaptation/acces_readaptation_handicap_JPD_LJ.doc?attredirects=0&d=1
Manuscrit accepté des auteurs - Paru dans gestions hospitalières n° 492 - janvier 2010

Menaces sur la qualité des soins et la prévention du handicap
https://sites.google.com/site/systemedesoinsethandicap/home

Réingénierie des SSR: kit de survie
https://sites.google.com/site/systemedesoinsethandicap/reingenierie-des-ssr-kit-de-survie#TOC-Quelques-liens-essentiels

Solidarités, précarité et handicap social. Sous la direction de Didier Castiel, Pierre henri bréchat. Préface de Didier Tabuteau Couverture - Commande - Plan de l'ouvrage

Aurait-on pu faire autrement? En finir avec l'usine à gaz du PMSI-SSR
https://sites.google.com/site/systemedesoinsethandicap/organisation-et-financement-de-la-readaptation#TOC-Autres-exp-riences-et-r-flexions-in

Pourquoi détruire l'hôpital public? ON NE NOUS DIT PAS TOUT ! POURQUOI DETRUIRE CE QUI MARCHE Par André Grimaldi, Thomas Papo et Jean-Paul Vernant 26/03/2010
https://sites.google.com/site/ubulogieclinique/florilege-des-auteurs/pourquoi_detruire_hp.doc?attredirects=0

Les décisions absurdes - Christian Morel ("Les décisions absurdes sont une oeuvre collective")
lien 1 ; Fiche de lecture ; Petit guide de survie en groupe de travail ; Genèse de la perte de sens

La réforme de la gestion publique et ses paradoxes : l’expérience britannique par Colin TALBOT http://www.cairn.info/load_pdf.php?ID_ARTICLE=RFAP_105_0011

Deux textes de Claude Rochet (Aix-Marseille) qui a inspiré le titre de ce billet
Sortir du processus d'euthanasie bureaucratique de l'état ; LOLF et changement de paradigme

vendredi 5 mars 2010

Incertitudes sur la qualité des soins: du financement à l'activité au marché des "tacots" d'Akerlof

Pourquoi la tarification à l'activité crée un "marché des casseroles"


La science économique est de plus incapable d'envisager ce qui n'est pas quantifiable, c'est-à-dire les passions et les besoins humains. Ainsi l'économie est à la fois la science la plus avancée mathématiquement et la plus arriérée humainement. Hayek l'avait dit :«Personne ne peut être un grand économiste qui soit seulement un économiste.» Il ajoutait même qu'« un économiste qui n'est qu'économiste devient nuisible et peut constituer un véritable danger ». (Edgar Morin La tête bien faite, p.16, Seuil, 1999)

Dans une communication de 2004 Philippe Mossé évoque les travaux de deux prix Nobel d'économie relatifs aux situations d'incertitudes sur la qualité et des défaillances que peut entraîner une régulation préferentielle par le marché ou un pseudo-marché tel que le paiement prospectif (tarification à l'activité). Les économistes défenseurs de ces modèles le savent et doivent tenter de faire croire aux usagers, aux élus et aux professionnels que l'asymétrie fondamentale d'information peut être suffisamment réduite (déification de la "régulation par l'information" par J de Kervasdoué). Pourtant les expériences internationales et notamment celles du cancre américain des dépenses de santé au regard des résultats, montrent que ces modèles détruisent le professionnalisme au profit de comportements de calculateurs économiques qui deviennent alors des experts en manipulation des "signaux" face aux manipulateurs d'incitations. Ils conduisent à une baisse tendancielle de la qualité des soins et au rationnement recherché, tout en majorant dramatiquement les coûts de transaction de l'organisation.
L’économie du système hospitalier ; Le délicat problème de l'incitation Philippe Mossé, Lest UMR 6123 Moscou, octobre 2004
Extrait:
"Depuis son origine, l’économie de la santé, et singulièrement celle de l’hôpital, fait la démonstration de ce que K. Arrow appelait les “ spécificités ” de l’industrie des biens et services de santé (Arrow, 1963). Confrontant ce secteur au modèle de l’économie classique, il concluait que, dans la santé, le Marché ne pouvait être le mode de régulation ou de coordination dominant.
Cette approche, développée par Akerlof (1976) à propos de l’incertitude sur la Qualité ou par Granovetter (1985), via la notion “ d’encastrement ” ou embeddedness, a été appliquée, à des degrés divers, à l’ensemble des activités économiques et sociales. Elle montre que la logique marchande tire son sens et son efficacité des institutions qui l’encadrent."


"The Market for 'Lemons' : Quality Uncertainty and the Market Mechanism" est un article de théorie économique de George Akerlof écrit en 1970 établissant les bases de la théorie de la sélection adverse. Professeur à l'université de Californie à Berkeley, Akerlof a été récompensé du « prix Nobel d'économie » en compagnie de Michael Spence et Joseph Stiglitz 2001 pour ses recherches sur l'asymétrie d'information dont cet article est un des points de départ.
Akerlof prend l'exemple des voitures d'occasion pour démontrer comment une asymétrie d'information en faveur du vendeur d'un bien, en l'occurrence le vendeur en sait plus que l'acheteur sur la qualité du bien qu'il vend, peut conduire à la réduction du nombre de transactions ou à la disparition du marché, même dans des conditions par ailleurs concurrentielles. L'acheteur de sait pas si le vendeur lui propose un "tacot" (lemon) où une voiture en bonne état. Un vendeur ne connait pas non plus la qualité de ce que les autres proposent (problème de signal). Dans une relation d'agence, le problème de "signal" peut être traité par la "certification" qui vise à réduire l'incertitude sur la qualité. Mais celle-ci peut reposer là encore soit sur un contrôle externe prédominant dans un modèle de régulation bureaucratique (voire pire sous forme de palmarès encouragés par l'Etat), soit reposer beaucoup plus largement sur l'autorégulation professionnelle (collèges professionnels).

La force de l'article d'Akerlof est de permettre d'analyser comment ce type de phénomènes peut se produire du fait de certaines erreurs persistantes dans la régulation du système de santé.



3 notions simples pour mieux comprendre l'horreur médico-économique


Voici trois notions qui assemblées, montrent comment la médecine prépayée à l'activité transforme les professionnels de santé en calculateurs économiques égoïstes dans une prophétie autoréalisatrice. En poursuivant le but de rationnement des dépenses, elle transforme inévitablement la santé en "marché des tacots". Elle conduit en effet dans un contexte d'incertitude sur la qualité et d'asymétrie d'information à une baisse inéxorable de la qualité des soins et à l'achat de programmes de soins "tacots" ou "lemons" au plus bas prix par les payeurs, qu'il s'agisse des usagers ou de tiers-payants.


Comme il n'y a pas de conditions techniques de fonctionnement opposables et que la tarification à l'activité ne valorise pas convenablement l'intensité ou la complexité des prise en charges les plus lourdes, nos directeurs ne sont plus retenus par aucun garde-fou face aux mécanismes du paiement prospectif et sont contraints à rationner les soins par le couple infernal EPRD - masse salariale. Les effectifs diminuent et quand le risque devient trop grand dans une activité, quel qu'en soit le besoin territorial, on la ferme. Pas la peine d'attendre de définir ce qui est "médicalement justifié", les activités tombent d'elles-mêmes.


Darwinisme organisationnel, marché des "tacots" et choix tragiques


1 La puissance du système de paiement prospectif est sa capacité à permettre des marges au regard du paiement prospectif. La T2A est un système de médecine prépayée. Dans un contexte de rationnement, une lutte pour la survie de chaque structure est favorisée. Il faut donc sélectionner les patients, diminuer les moyens de prise en charge, éliminer au maximum les "mauvais risques financiers" et au mieux, si l'on s'entend bien avec son directeur, "financer les malades non rentables par les malades rentables". Pour que ce système soit efficace et elimine les unités et établissements supposés les moins organisés il faut justement qu'il n'y ait pas de conditions de fonctionnement opposables qui limiteraient les marges d'action et les "chaînes de commandement" du nouveau directeur ingénieur tout puissant bardé de ses nouveaux bureaux des méthodes.
Mais le comble est hélas, qu'en France, le jacobinisme industriel piloté par les croyances de quelques experts autoproclamés a développé plus que partout ailleurs ce système de financement tout en omettant soigneusement les gardes-fous utilisés à l'étranger. C'est donc l'ensemble du système qui semble devenu fou et au grand dam des usagers et des professionnels.
Ainsi peuvent être aisément supprimés "au fil de l'eau" des postes d'aides-soignants, de rééducateurs, d'assistantes sociales mais aussi de cadres de proximité et de secrétaires médicales si indispensables à l'intégration des soins, puisque les effets dramatiques et inhumains en terme de production du handicap n'apparaîtront pas dans les indicateurs à courte vue de la nouvelle myopie gestionnaire. Ces suppressions sont hélas la seule marge de manoeuvre qui reste aux directeurs dans cette counter-evidence based policy.
"..les établissements se retrouvent dans cette situation paradoxale où la seule variable d'ajustement réside dans la qualité des soins. Le coeur de l'activité des établissements constitue donc le premier poste d'arbitrage financier. La pression budgétaire peut ainsi se traduire par une baisse de la qualité des soins." Robert Holcman au sénat


L’expérience américaine et la réforme de la tarification hospitalière en France – commentaire de l’article de J. Newhouse Roland Cash Michel Grignon Dominique Polton
http://economiepublique.revues.org/docannexe265.html


2 Le marché des tacots ou la transformation des professionnels, médecins, autres soignants, managers, en calculateurs égoïstes. La relation d'agence qui se met en place en santé remplace la logique de régulation par le professionnalisme médical par la seule logique de régulation comptable. Nous sommes dès lors dans un domaine économique très particulier où l'on ne peut connaître la qualité réelle du produit. Les indicateurs de contrôle externe de qualité sont quasiment toujours de indicateurs de processus courts (outputs) et non des indicateurs de résultats. les palmarès d'hôpitaux sont encotre plus inconsistants.
Ce cas de figure évolue vers une inévitable défaillance du marché. Il est décrit dans le célèbre article sur le marché des voitures d'occasion d'Akerlov. L'agence, contrairement à ce qu'elle va tenter d'affirmer notamment par la prétention à contrôler les filières et par les mécanismes divers de "certification", n'a aucun moyen sérieux de savoir ce que fait un établissement quand il prend en charge un malade: le vendeur est ici l'établissement, qui, bien organisé peut deviner ex ante par les connaissances des professionnels la complexité d'un cas, et peut par ailleurs prétendre délivrer un programme de soins d'une certaine qualité que l'agence, ici dans la position de l'acheteur, ne sait pas quoiqu'elle prétende évaluer ex post:


- le "vendeur" peut rester dans le cadre des Objectifs Quantifiés de l'Offre de Soins (OQOS) contractualisés sans répondre aux besoins réels du territoire, à supposer qu'on ait su les évaluer,


- il peut sélectionner des patients légers et à séjour prévisibles courts qui entrent apparemment dans les mêmes groupes homogènes que des patients plus lourds qu'on sait détecter et éviter.


- il n'y a pas de moyen d'évaluer la qualité des soins réelle (quality uncertainty) dans le cadre de cette prise en charge dont on n'aura que des indicateurs médico-économiques, même s'il ne s'agit dans les faits que de prises en charge "tacots".

Finalement seuls ces "soins casseroles" se vendront. La dégradation est d'autant plus rapide que la spirale de la défiance se développe entre usagers, payeurs et professionnels. CQFD.
C'est pourquoi l'autorégulation par un professionnalisme reconnu, de confiance et non incité en permanence au calcul économique reste indispensable à des soins de qualité au coté des rationnalités gestionnaires. Il faut en convaincre les usagers et les élus. Et sans doute aussi hélas certains médecins trop sensibles aux sirènes des économistes-ingénieurs!


"The Market for "Lemons" : Quality Uncertainty and the Market Mechanism" http://www.riekert-online.de/riekert-online/Transfer/0-154.pdf


3 Le transfert des choix tragiques ou analyse des portefeuilles d'activités doit se faire simplement avec la matrice du Boston Consulting group (BCG). Nos établissements travaillent sur le court terme car nos directeurs ont le "couteau à phynances" (celui du père Ubu) sous la gorge. Point de stratégie fondée sur les besoins de soins, ce qu'il faut c'est survivre jusqu'à la prochaine campagne budgétaire.

Cliquer ici pour la matrice BCG


Le viol éthique par l'image: "financer les malades non rentables par les malades rentables?.. ou ne plus financer du tout?".Bien des états d'âme en perspective pour les futurs médecins tacherons.