dimanche 10 novembre 2013

La DGère de l'AP-HP victime de la grande gidouille hospitalière - La formule d'Ubu


«Rien n'est plus semblable à l'identique que ce qui est pareil à la même chose.» Pierre Dac

« Face au monde qui change, il vaut mieux penser le changement que changer le pansement. » Francis Blanche

« Quand les parents ont un projet, les enfants ont un destin.»  Jean-Paul Sartre

1. Position du problème et formule d'Ubu


La directrice générale de l'AP-HP vient d'être débarquée et remplacée par Martin Hirsch. Pourtant, le président de la CME de l'AP-HP, le Pr. Loïc Capron, la vice-présidente Anne Gervais, le Pr. Bernard Granger, coanimateur du Mouvement de défense de l'hôpital public  et le Pr. Philippe Juvin considèrent avec beaucoup d'autres observateurs et avec des opinions variables sur la qualité de sa gestion, qu'elle joue ici le rôle du parfait bouc émissaire dans la triste affaire du projet de l'Hôtel-Dieu.

Comment expliquer ce malaise profond qui traduit bien, quelles que soient les convictions et obédiences professionnelles, politiques ou syndicales de chacun, un désenchantement croissant de la communauté médico-soignante de l'AP-HP?

Nous proposons ici une analyse 'pataclinique à ce phénomène, que nous espérons à la fois suffisamment grotesque et sérieuse. Elle est composée de quelques variations énigmatiques sur le thème de la "gidouille", fondées sur un cadre conceptuel très robuste, dit formule d'UBU:


Paradigme de la santé "Bien-être" 
+ Rationnement des soins 
+ Rationalisation industrielle des soins 
+ Mythe du marché efficient

2. Genèse de la "pensée managériale de marché" ou la mise en gestion des soins "à portée des caniches". 

Histoire de faussaires: faux résultats, faux produits, faux processus, faux marché et fausses compétences... La faisabilité politique de l'ajustement des dépenses, entendre ici le rationnement des soins, a conduit l'action publique encadrée par la LOLF à se représenter partout les "résultats" de sa "fonction de production". Ainsi en est-il de la T2A à la française qui a prétendu représenter la production des soins par des groupes homogènes de malades. Sa sophistication absurde jointe à l'absence de régulation de ses effets pervers ne pouvait conduire qu'au sacrifice progressif des compétences fondamentales de l'organisation soignante, au fétichisme des coûts des faux "produits" qu'on a inventé à la hâte à partir de simples outputs de sortie de système pour justifier un fonctionnement en pseudo-marché conforme à la doxa.

Au commencement était l'élu.

Et l'élu devait être réélu.

Il devait réduire les dépenses de santé

Alors l'élu créa le programme d'ajustement

Du programme naquirent les objectifs

Des objectifs naquirent les résultats cyclopes*

Des résultats naquit le nouveau management

Du management naquit la fonction de production

Le produit fut nommé groupe homogène de malades

Et les produits furent vendus aux assureurs

Le management et les assureurs conçurent le pseudo-marché

Le marché fut nommé besoins de santé

Ainsi fut inventé le business model public

Ses prêtres le baptisèrent modèle médico-économique

Le marketing d'Etat se fit prédateur du savoir des Asclépiades

Et l'élu le nomma démocratie sanitaire.

C'est ainsi qu'advint la gidouille.


*variante: indicateurs myopes


3. Adaptation à toute configuration hospitalière: la genèse de la gidouille hospitalière


Au commencement était le plan.

Et puis vinrent les hypothèses.

Et les hypothèses étaient sans forme.

Et le plan était sans fondement.

Et les ténèbres étaient sur la face des médecins et de tous les soignants.

Et ils parlaient entre eux en disant:

"Il s'agit d'un tas de conneries et il pue déjà".

Et les médecins s'en allèrent voir leurs chefs de pôle, les soignants leurs cadres, et ils dirent:

"Il s'agit d'un seau de fumier et nul ne peut en supporter l'odeur."

Et les chefs de pôle joints aux cadres allèrent vers leurs directeurs d'établissement et dirent:

"Il s'agit d'un conteneur d'excréments et il est si fort que nul ne peut demeurer à proximité."

Et les directeurs d'établissement s'en allèrent vers leurs directeurs de Groupes Hospitaliers, en disant:

"Il s'agit d'un navire d'engrais, et nul ne peut en supporter la force."

Et les directeurs de GH parlaient entre eux, se disant les uns aux autres,

"Il contient un principe qui aide la croissance des activités et il est très fort."

Et les directeurs de GH allèrent vers les Directeurs adjoints du siège, et leur dirent:

"Il favorise la croissance et est très puissant."

Et les Directeurs adjoints s'en allèrent vers le Directeur Général, en lui disant:

"Le nouveau plan favorisera la croissance des parts de marché et la vigueur de la société, avec des effets puissants."

Et le Directeur Général regarda le plan et vit que cela était bon.

Et le plan est devenu politique.

C'est ainsi que la gidouille advint.


4. Traduction non adaptée: la genèse du bullshit management


Au commencement était le plan.

Et puis vinrent les hypothèses.

Et les hypothèses étaient sans forme.

Et le plan était sans fondement.

Et les ténèbres étaient sur la face des travailleurs.

Et ils parlaient entre eux en disant:

"Il s'agit d'un tas de conneries et il pue déjà».

Et les ouvriers s'en allèrent voir leurs chefs d'équipe et dirent:

"Il s'agit d'un seau de fumier et nul ne peut en supporter l'odeur."

Et les chefs d'équipes allèrent vers leurs gestionnaires et dirent:

"Il s'agit d'un conteneur d'excréments et il est si fort que nul ne peut demeurer à proximité."

Et les gestionnaires s'en allèrent vers leurs administrateurs, en disant:

"Il s'agit d'un navire d'engrais, et nul ne peut en supporter la force."

Et les administrateurs parlaient entre eux, se disant les uns aux autres,

"Il contient un principe qui aide la croissance des semences et il est très fort."

Et les administrateurs allèrent vers les vice-présidents, et leur dirent:

"Il favorise la croissance et est très puissant."

Et les vice-présidents s'en allèrent vers le président, en lui disant:

"Le nouveau plan favorisera la croissance et la vigueur de la société, avec des effets puissants."

Et le président regarda le plan et vit que cela était bon.

Et le plan est devenu politique.

C'est ainsi que la merde* advint.


Variante d'Alfred Jarry: "merdre"

5. La source: "How a plan becomes policy"

In the beginning was the plan

Au terme de cette lecture, vous avez compris que la 'pataclinique est une affaire sérieuse et une formidable protection intellectuelle contre la sophistique managériale.

« Changement d’herbage réjouit les veaux. » Proverbe berrichon
« Le changement de chef fait la joie des sots. » Proverbe roumain

Brève bibliographie sérieuse


The core competence of the corporation. G Hamel & CK Prahalad 
(attention à ne pas sacrifier les compétences fondamentales de l'organisation au fétichisme du coûts des faux "produits" qu'on a inventé à la hâte pour justifier un fonctionnement en pseudo-marché)
Le mystère de l'assemblage des compétences clés dans l'organisation: "une sorte de bleu"
(exercice: définir les compétences fondamentales mises en oeuvre dans ce sextet de Miles Davis)

Mintzberg: grandeur et misère du management stratégique
http://hbr.harvardbusiness.org/1994/01/the-fall-and-rise-of-strategic-planning/ar/1
Fiche de lecture CNAM

Mintzberg - Des managers, des vrais, pas des "MBA"
http://www.editions-eyrolles.com/Livre/9782708130845/des-managers-des-vrais-pas-des-mba
Extraits: http://www.scribd.com/doc/49700751/Des-Managers-Des-Vrais-Pas-Des-MBA
Fiche de lecture CNAM

Jean-Pierre Boutinet - Anthropologie du projet - PUF . Paris 1990 - Site de l'auteur - Couverture
http://www.unige.ch/fapse/life/livres/alpha/B/Boutinet_1993_A.html

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