dimanche 1 juin 2014

La réingénierie disruptive des professions de santé


"Rien n'est permanent sauf le changement." Héraclite

Documents: innovation disruptive et stratégie du choc


1. Infirmière clinicienne spécialisée : éléments de cadrage pour les missions, la formation et l’emploi (ARS-IDF 2013)


2. Nurse Practitioners and Primary Care. Federal and state laws and other policies limit how these professionals can help meet the growing need for primary care. 

(“Health Policy Brief: Nurse Practitioners and Primary Care,” Health Affairs, October 25, 2012.)

3. L'infirmière clinicienne en bonne voie d'être reconnue... (Infirmiers.com 13.11.13) 


4. Vers une pratique avancée pour les professions paramédicales (Infirmiers.com, 31 mars 2014)


5. Débat autour du futur métier d’infirmière clinicienne (Actusoins, 28 mai 2014)

voir aussi Future Loi de Santé : l’UNOF­CSMF dit NON aux infirmières cliniciennes

6. Nurses Are Not Doctors Dans le New York Times du 29 avril.

"Nurse practitioners have been promoted as a cost-effective way to meet this need. Medicare currently reimburses nursepractitioners only 85 percent of the amount that it reimburses primary-care physicians. Paying less for the same work would appear to be a way to save health care dollars."
"But are nurse practitioners actually more cost-effective? There is a dearth of good recent empirical research on this question, but some studies have suggested that the answer is no."




Harv Bus Rev. 2000 Sep-Oct;78(5):102-12, 199. Christensen CM, Bohmer R, Kenagy J.



Traduction d'un extrait de l'article de Christensen et al.
Will disruptive Innovation cure Healthcare? Harv Bus Rev. 2000 Sep-Oct;78(5):102-12, 199. Christensen et al.

Le commentaire: Quand la Harvard Business School réinvente les officiers de santé


"Rien n'est permanent sauf le changement" nous enseigne Héraclite. Les professions ne sauraient échapper à cette loi, certaines disparaissent et d'autres naissent, en santé comme ailleurs. Si Schumpeter a décrit la "destruction créatrice", les écoles de management tentent de l'apprivoiser avec le concept d''innovation disruptive, en prétendant imprimer au devenir le caractère de l'être. Mais la prévision reste un art difficile, surtout quand elle concerne l'avenir.

Dans leurs efforts pour prétendre maîtriser l'entropie du monde, il est stupéfiant de voir à quel point les grands architectes de la santé nous prennent pour des ânes! C'est encore plus évident lorsque les réformateurs importent sans le dire des modèles de management et d'économie industrielle des universités américaines ou canadiennes. Nous avions eu droit à la "chaîne de valeur" de Michaël Porter, à sa "filière intégrée" transformée en "filière de soins". Le terme de "filière" qui assimile les patients aux produits d'un chaîne de production, est exceptionnellement utilisé à l'étranger tant il fait penser à la filière bovine où l'usager a tout sauf son mot à dire. C'est notamment le cas quand la qualité de la chaîne d'aval se détériore sous l'action d'une stratégie poussée de déstockage des hospitalisés et d'une intégration verticale guidée avant tout par l'efficience comptable. L'élasticité à la qualité de l'aval n'est pas la même après AVC et prothèse totale de hanche. Le lieu de rééducation après prothèse se négocie à l'avance, mais pas celui qui suit un AVC.

Les mots s'usent et dès lors qu'ils ne trompent plus grand monde ils ne sont plus guère opérationnels. Place donc, aujourd'hui, au "réseau facilitateur" de Clayton Christensen, le salut des malades perdus dans des "parcours de soins", trop fragmentés par les pompiers pyromanes qui prétendent résoudre les problèmes avec les modèles qui les ont créés, viendra des nouveaux réseaux en ligne type Google et Youtube. Ces nouveaux réseau sociaux créeront, dit-on, de l'intelligence collective, supportée par le futur customer empowerment
Tout ce beau "knowledge marketing", ces Marketing & information and communication technologies (MICT) qui s'inscrivent dans la perpective  de "Transformative Consumer Research", prétendent mieux valoriser les "expertises d'usages" pour intégrer les consommateurs dans la création de valeur au sein d'un marché. Pourquoi pas? Mais cela suppose pour avoir un minimum de sens:

  1. que le produit ne soit pas défini artificiellement et à court terme à partir des données du reporting par une économie industrielle en "filières inversées", poussée à partir de l'amont,
  2. qu'il réponde, dans une contexte d'asymétrie d'information aux vrais besoins des malades en termes d'outcome, en tenant compte de leur complexité réelle, celle qui n'est pas justement pas captée par le système d'information, et en tenant compte des déterminants réels de l'hébergement hospitalier.
  3. que si l'outcome individuel du patient ne se dilue pas dans la guimauve de "l'impact" décrit en termes de santé Bien-être. Ce modèle de fonction de production utilitariste de l'action publique, qui confond santé et bonheur des peuples, asservit inéluctablement la médecine à la politique, comme il asservit l'intérêt individuel à l'intérêt collectif. 
La sophistique managériale avec ses mots-valises, déploie ce changement disruptif dans une atmosphère de crise. La stratégie du choc sidère les acteurs par des indicateurs aussi myopes que ce que le système est fragmenté. Cela se traduit par une complaisance résignée à une prochaine déshospitalisation foudroyante, par la complicité soumise à un virage ambulatoire qui risque de singer la version canadienne des "Invasions barbares" laissant bien des malades sans système de soins ni d'accompagnement pérenne. Si un virage ambulatoire est possible, il ne peut se réduire à des soins low cost, particulièrement au regard d'une réadaptation dont la couverture sociale est menacée.

Quelle evidence based policy supporte ces décisions? Il ne s'agit encore une fois que de mythes rationnels, au service de la rationalisation d'un rationnement des soins encore couverts par la solidarité nationale, rationnement dont la nécessité économique n'est même pas prouvée.

Voici que la Harvard Business School a réinventé les "officiers de santé", et nos politiques publiques trouvent cela bien séduisant, bien propre à enfumer usagers professionnels et élus, en dépit des prévisions relatives à la démographie médicale. Que feront tous ces médecins rendus inutiles? L'auto-soin, guidé par le consumer empowerment et par la ré-ingénierie des attitudes et des comportements de santé, permettra des économies substantielles, l'infirmière clinicienne guidée par les process industriels remplacera les généralistes qui, éclairés par l'EBM, remplaceront les spécialistes. Ceux-ci rejoindront sans doute alors un hôpital transformé en grand plateau ambulatoire où l'on gardera quelques lits pour les malades qu'on ne peut pas ne pas coucher et pour les incurables, les inéducables, et n'en doutons pas, considérés comme inrééducables.

Plus que jamais le patient, promu en "client" "empouvoiré", sommé de faire des choix de consommateur averti face à d'ubuesques palmarès produits à cet effet, sera le bras armé du payeur, mais n'en sera pas moins laissé pour compte.
Les parcours ne seront pas moins chaotiques dans un système toujours plus fragmenté, entre universel et assistantiel ou soins et social, entre santé physique et mentale, entre premier, second et énième recours, entre aigu et SSR etc. quand on les aura accablés de nouvelles et coûteuses coordinations bureaucratiques, de reporting exponentiel et de nouveaux trusts sanitaires de survie à la T2A (les "coordinations obligatoires") plaqués au-dessus du mille-feuille et des tuyaux d'orgue actuels.

Michaël Porter, avec son modèle de "value based competition", viendra compléter la légitimité de la prise de pouvoir des payeurs, puisqu'il s'agit d'étendre le modèle de la T2A à l'échelle des parcours, des "groupes homogènes de filières" en quelque sorte. Ce sont les bundled payments par épisodes de soins (aigu post-aigu et ambulatoire), qui minimise le risque pour les payeurs, et dont la gestion ne pourra plus se faire à l'échelle d'un établissement à taille humaine mais seulement à celle d'une grande organisation imputable (Accountable Care Organizations ou ACO) comme dans l'Obamacare. Inutile de préciser que les assureurs vont proposer de larges regroupement d'offreurs intégrés avec les acheteurs de soins. (A Working ACO Model: Integrate Health Care Purchasers and Providers to Lower Costs)

Médecine intégrée, oui, mais par qui?

"Ne confondons pas «patient centred» avec «client oriented». Etre centré sur le malade, pour la médecine, n’est pas une stratégie. C’est la condition de son existence, la démarche d’où elle émerge : son origine."


Esculape vous tienne en joie,

Source: Healthcare System Overview (Khan Academy)

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